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11 décembre 2007

La ville arabe de Sfax (suite et fin)

Voici la suite de l'histoire  sur la ville arabe de Sfax raconée par Roger Macchi :

...

J’ai continué mon exploration, encouragé par le paisible spectacle. J’ai tourné dans la rue des notaires.  Dans la pénombre des échoppes, j’aperçois les actes roulés et entassés sur des étagères au fond de l’unique pièce de vie. Le notaire, une belle moustache grisonnante, la tête enserrée dans un turban blanc, comme les ulamas, est assis sur une natte,  de ses yeux myopes il lit un gros livre à la couverture de maroquin.
Dans la rue, par endroits, sont tendus des grands draps de toile pour faire des îlots d’ombre. Le soleil haut dans le ciel incendie d’une lumière sans pitié que les murs blancs irradient. La chaleur est accablante, aussi c’est avec délice que je pénètre dans le souk, voûté, obscur et calme des étoffes, afin d’y goûter un peu de fraîcheur.babdjebliencouleurbis1
Là, j’ai croisé quelques juives et des européennes faisant leurs emplettes. Je l’ai traversé et je suis sorti par une porte en forme d’arc brisé pour déboucher sur la rue très animée des teinturiers.
Dans le caniveau au centre de la rue coule un liquide nauséabond, l’odeur me prend à la gorge. Une odeur d’eau croupie, de sueur, ou de bêtes pourries je ne sais pas ! Je cherche les teinturiers, je n’en vois pas. Les maisons sont de hauteurs inégales, avec des fenêtres aux contours ciselés. Des boutiques basses vendent toutes sortes de bric-à-brac.
Accrochés aux auvents pendent des couffins d’osier ou de paille tressée, des guerba(2), des Tamis de différentes grosseurs. Posé à terre, des nattes roulées, des bassines, des couscoussiers, toutes sortes de récipients, de pots, canoun en fer ou en terre, des cuvettes  en émail multicolore de toutes dimensions, et quantités d’outils dont j’ignore le nom et l’utilisation.
Des groupes d’hommes coiffés de turbans, et vêtus de la gadroum(3) traditionnelle, ou encore d’une chemise rayée par-dessous une sédria unie, d’un sérouel blanc ou noir, la chéchia rouge sur la tête,   papotent.
Passent devant moi deux femmes enveloppées dans leurs voiles blancs et un vieil homme sur un bourricot. Il est assis sur la grara, cette selle en paille terminée par deux hottes pleines ras bords, le pauvre animal à du mal à avancer, ses pattes frêles tremblent sous le poids.
Ne sachant où aller, je l’ai suivi.  Je suis passé sous une porte monumentale et je me suis retrouvé de l’autre côté de la ville arabe, à bab Djebli.
À peine le borj passé, c’est comme un coup au cœur, le spectacle est grandiose ! La place immense est un gigantesque marché à ciel ouvert.
Le soleil est au zénith, le ciel sans nuage presque blanc se confond avec la terre. L’air est saturé d’odeurs, ici ce sont des merguez qui cuisent sur le charbon de bois, plus loin, les ftaïrs qui exhalent l’huile de friture surchauffée, ou lablabi qui dégage ses arômes d’épices. Un boulanger passe portant sur la tête une planche où toutes sortes de pains odorants sont alignés comme une armée en ordre de bataille.
J’ai acheté deux merguez dans un petit pain italien avec de l’harissa.  Un essaim de mouches tourne autour de moi, je les chasse de la main, mais insolentes, elles reviennent inlassablement.
Il y a des monticules de piments, de tomates, de poissons et de viandes séchés, le tout posé sur des toiles à même le sol. Autour, un peuple rieur, marchande, crie, chuchote, s’apostrophe et souvent invoque le nom d’Allah.
Un peu plus loin, des hommes assis par terre boivent un café, la zazoua passe et remplit les verres. Le temps est suspendu. Les palabres vont bon train sur les affaires de la ville et la politique de la région.
Sur la gauche, là où se trouve une série de nasriah des dromadaires agenouillés ruminent avec une lippe de dédain. Ils attendent les chargements qui les verront repartir vers leur lointaine destination. Des ânes, des mulets entravés, et écrasés par de lourds harnais broutent l’herbe rare de la place.  Des bédouines silencieuses en cotonnades rayées sont installées devant des tentes en toile noire, et attisent la braise du canoun avec l’éventail à manche de bois, afin de cuire la chorba. Autour d’elles des grappes d’enfants jouent et quelques maigres chevrettes rodent près des sacs de grains et des ballots de paille. Tout en vrac, une pyramide de gargoulettes. Plus loin, des balles d’Alfa venue du sud.
Derrière une ligne de palmiers, se découpent sur le ciel les coupoles blanches de quelques marabouts et un vaste cimetière où les tombes sont disséminées au hasard sans délimitation.
Soudain, je remarque un attroupement qui se forme sur ma droite. Curieux je m’approche. C’est un conteur, assis en tailleur sur un petit tapis de prière, une darbouka lui sert à rassembler la population autour de lui, un cercle silencieux et grave grandit, tous attendent le cœur battant. L’homme est âgé, il a une belle barbe blanche, le visage maigre et dans les yeux une expression hautaine, des lèvres charnues et un sourire très doux. Il scrute attentivement son auditoire, sort une petite boîte métallique ronde qui contient de la néffa, il en met une pincée dans chaque narine aspire profondément, ferme les yeux et dit d’une voix grave et chaude :
« Que Satan soit maudit ! Que grâce soit rendue au très haut, le tout puissant, le miséricordieux !
illaha illa Allah Mohamed rassoul Allah. »
Il fait une longue pose, examine l’assistance, pour voir l’effet produit, puis reprend.
« Allah a étalé la terre, puis il a étagé les sept cieux, et enfin il a créé l’homme. Ô toi qui m’écoutes, écoute bien et médite  mes paroles »
Puis, posément, il raconte avec moult fioritures l’histoire du sacrifice d’Abraham.
Il est vrai que le temps de l’Aïd est proche.
Il termine en invocant à nouveau le nom d’Allah.
« Voilà mes frères, comment celui qui a pouvoir sur toutes choses qui est, mais aussi sur toute choses qui n’est pas, a par sa volonté sauvé Ismaël l'ingénu, et sécher les larmes de Hagar.
Kefak  ala moulek ! »
Cette belle histoire, je l’avais apprise, moi aussi au catéchisme. Et le rabbin l’avait également enseigné à mon ami Isaac.
Quand il eut fini, un grand silence ému planait sur l’assemblée. Puis chacun mis dans la chéchia du conteur, un nouss  ou un frank.
Je lui ai donné un doro.
Puis, je suis retourné vers la maison passant par la
Rue du bey. Au travers des étroites ruelles, des voûtes encadrent les murs blancs dégoulinants de soleil et que découpent quelques moucharabiehs. Au-dessus le ciel d’un bleu de cyan donne à l’ensemble un côté magique et envoûtant.  C’est l’heure de la sieste, tout est calme, seuls quelques chats miséreux traversent rapidement la rue à la recherche d’un coin d’ombre.
Dans ma tête résonnent les bruits, les odeurs, et les images du spectacle éblouissant auquel j’ai participé.
Je sais, qu’il demeurera à jamais gravé dans mon cœur.

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